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Ziguinchor : Les enfants talibés dans la précarité

La situation des jeunes talibés inquiète plus d’un dans la capitale sud. Laissés à la merci de la rue, ces enfants se transforment parfois en «Boudioumane» pour, disent-ils, «gagner la pitance que leur imposent leurs marabouts». Ces talibés sont même devenus des cibles pour des pédophiles.

En provenance essentiellement des pays de la sous région (la Gambie et la Guinée Bissau), ces jeunes talibés demandent à l’Etat de les aider à sortir de leur situation de misère. Phénomène récent à Ziguinchor à la faveur de la crise dans la région, le cas des enfants talibés est devenu préoccupant. Ces jeunes garçons dont les âges varient entre 08 et 16 ans, sont nombreux aujourd’hui très nombreux à arpenter les rues et ruelles de la ville à toute heure de la journée. On les retrouve dans les stations d’essence, aux arrêts de cars de transport urbain, à l’hôpital, dans les bureaux et autres services publics. «Nous sommes parfois à la solde de certaines familles qui nous servent chaque jour de transporteurs de poubelles», nous a confié le jeune Souleymane Diallo, âgé de plus de 10 ans, talibé et habitant le quartier Kandialang, un quartier périphérique de Ziguinchor. Et son compagnon de tous les jours et de toutes les nuits Ibrahima Diallo de renchérir : «Moi, je suis embauché par une grande dame qui habite dans une cité de la place. Tous les matins, à 08h30, je vais chez elle pour transporter les poubelles. Avec elle, je gagne 500F CFA. Une somme que je reverse à mon marabout comme çà, je suis tranquille et je suis épargné des châtiments que subissent mes camarades talibés.  Pour le petit Ousmane Sall (09 ans), « chaque jour je suis dans les poubelles pour ramasser la ferraille que je revends. Je gagne par jour  entre 600 et 800 FCFA. Avec cette somme, je suis tranquille. Car je peux rentrer tranquillement chez mon marabout la nuit.» Mais pour Moussa, 12 ans, jeune talibé habitant le quartier Alwar ,  il partage le domicile de son marabout avec près d’une cinquantaine d’autres enfants.  «Mes parents m’ont confié à mon marabout. Je suis venu à Ziguinchor, il y a déjà 5 ans. Mais, je dois vous  avouer que je passe souvent la nuit dans les rues parce que je n’ai pas le droit de rentrer à la maison sans avoir versé la somme de 750 FCFA que mon marabout me réclame tous les jours. Parfois, je suis obligé d’entrer dans des maisons pour voler des objets que je vais revendre après», raconte -t-il .

La population pour  une sensibilisation sur  le phénomène 

Une bien triste situation, jugent bon nombre de Ziguinchorois. Les populations demandent aux autorités de marquer véritablement un temps de réflexion, de plaidoyer et de sensibilisation sur les aspects qui continuent de remettre en cause les droits des enfants talibés qui ont aussi droit à la vie. La situation de ces talibés est précaire à Ziguinchor et porte atteinte aux droits des enfants. Une violation de leurs droits causée par ceux-là qui doivent leur inculquer le savoir. «En réalité, nous n’avons véritablement pas droit à l’éducation, à la survie, à la protection et à la vie active. C’est la raison pour laquelle nous demandons aux autorités de nous aider afin que nous puissions sortir de cette misère», lance Moussa Diallo, talibé de son état. Un cri de cœur de ses enfants qui coïncide avec la création de commissions chargées de la protection des enfants à Ziguinchor par les autorités éducatives. Laissés à la merci de la rue, les talibés sont devenus les nouvelles cibles de pédophiles dans dans  cette  partie  du pays. Retrouvés en haillons et pieds nus dans le centre de la ville à la recherche de leur pitance, ces « enfants de la rue », ne sentent même pas la journée nationale des talibés qui leur sont dédié chaque 20 Avril. Ils se disent être les oubliés de la société, des ONG et des autorités étatiques. Dans les rues de Ziguinchor, on les retrouve dans les arrêts des cars de transport en commun, dans les grandes artères de la ville, au rond point Jean Paul 2 sis au centre de la cité, dans les marchés et dans certains coins des quartiers périphériques de la capitale sud. Ils, se sont les talibés. Ils sont aujourd’hui plus de 1379 à Ziguinchor et sont issus de familles pauvres et viennent essentiellement de la région de Kolda, de la Guinée ou de la Guinée Bissau. Si certains d’entre eux se transforment parfois en « Boudiou Magne » pour gagner leur pitance et trouver le franc symbolique qu’ils doivent apporter à leur marabout, ces jeunes garçons dont les âges varient entre 7 et 15 ans manient pourtant bien le coran. D’autres sont aujourd’hui par ailleurs, victimes d’acharnement, d’attouchement et d’abus sexuels. Ces jeunes garçons innocents, qui sont à la fleur de l’âge, souffrent dans leurs chairs. Ils soufflent le martyr dans cette partie méridionale du pays. « Nous sommes agressés et parfois même séquestrés par des personnes qui nous gardent chez eux pendant quelques moments », raconte le jeune S. Kandé jeune talibé âgé de 15 ans. A la question de savoir, qu’es ce que ces dernières vous offrent une fois chez elles ? Le jeune garçon hésite un moment et finit par dire, « elles nous offrent de l’argent avant de nous exiger des rapports intimes. » S. Kandé se lasse et raconte une de ses mésaventures, « il y’a quelques jours seulement dans le quartier de Boucotte, un homme m’a interpellé. Il m’a fait croire qu’il allait m’offrir des habits et de l’argent. Mais, une fois chez lui, il m’oblige à entretenir des choses pas du tout catholiques et qui ne sont pas conformes à notre religion. J’avais peur depuis ce jour là. Désormais quand quelqu’un m’appelle, je préfère qu’il me serve dans la rue aux yeux de tous. C’est le conseil que j’ai aussi donné à mes amis talibés aussi. » Si cette journée national dédiée à ces talibés devrait pallier la souffrance de ces jeunes qui recueillent l’aumône dans la rue, ils n’en ont cure. « Mon marabout, mes amis et moi ne savent même pas qu’il y’a une journée qui nous a été dédiée », nous confie le talibé M. Seydi qui semble partager les mêmes années que son compagnon d’infortune S. Kandé. Très mal nourris, sans chaussures, et mal habillés, ils (ces talibés) ont également dénoncé le mauvais traitement que leur infligent leurs maîtres coraniques. « Ils nous obligent à ramener du riz et l’argent le soir. Si nous n’en trouvons, nous sommes obligés de passer la nuit à la belle étoile. C’est-à-dire, nous dormons dans les rues et au petit matin, nous reprenons nos pots, nos bols pour une nouvelle journée de pitance », lance Samba dont l’école coranique se trouve dans le quartier Lyndiane. Sans aucun métier, ne pouvant ni lire et ni écrire, ces jeunes garçons semblent aujourd’hui avoir rompus les liens qui les lient avec leurs parents, leurs frères et leurs sœurs. « C’est à l’âge de 6 ans que mon père m’a confié à mon marabout. Et depuis lors je ne l’ai pas revu. Je ne sais même pas où il se trouve », explique avec un ton triste le jeune Mamadou Diallo retrouvé à côté d’un centre commercial de la place. Ce marabout de la place rencontré, s’est expliqué sur le phénomène. « En réalité, nous ne sommes pas aidés. Ni l’Etat, ni les autorités et ni les Ong ne nous viennent en aide. C’est seulement à l’occasion de cette journée nationale dédiée aux talibés qu’on convoque certains d’entre nous pour nous offrir quelques bols de riz. Après cela, elles (les Ong) nous tournent tous le dos ». Et d’ajouter: « aujourd’hui, il y’a trop de Daaras itinérants à Ziguinchor. Des marabouts migrateurs viennent et s’installent n’importe où et n’importe comment avec leurs talibés.» Des marabouts, pour une meilleure protection des talibés, qui interpellent les autorités pour une meilleure prise en charge des espaces traditionnels d’éducation, mais aussi et surtout une meilleure prise en charge des talibés pour leur éviter le trafic des enfants dont sont victimes certains pays de la sous région. Des talibés dont le seul tord est d’être jeté par leurs parents entre les mains de certains marabouts qui ne leur apprennent en réalité une seule et unique leçon, « ce n’est le chemin de Dieu, ni la bonne maîtrise du coran. Mais c’est plutôt le chemin de la mendicité, de la recherche pitance de tous les jours », ont laissé entendre ces talibés.

MAME SOKHNA DRAME