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Intelligence économique – Comment la France « réinvente » sa stratégie d’influence en Afrique (Cheikh Mbacké Sène)

Ces dernières années, la France a perdu du terrain en Afrique là où la Russie, entre autres, en gagne sur le plan géostratégique et militaire. Sans abdiquer – parce que l’Afrique lui est vitale-, la France change de fusil d’épaule et amorce la contre-offensive d’influence engageant toute sa force d’intelligence économique.

La nouvelle génération africaine se bat contre l’asservissement et compte sans état d’âme de se dépouiller des derniers vestiges du colonialisme et de la Françafrique”. Pour trouver l’équilibre dans les nouveaux rapports recherchés, la Russie est, entre autres, posée sur la balance. Moscou saisit la balle au rebond et installe sournoisement son influence. C’est de bonne guerre.

Mais l’Elysée n’abdique pas et change de fusil d’épaule. Derrière la nouvelle pensée économique qui doit réinventer le modèle de coopération et pour sécuriser l’influence et l’hégémonie des entreprises françaises en Afrique, le Quai d’Orsay a coordonné une nouvelle dynamique d’approche.

L’Afrique est importante et vitale pour la France. S’y désengager partiellement ou totalement est impensable même si l’opinion africaine d’aujourd’hui veut s’affranchir des jougs occidentaux, ou du moins avoir des rapports plus équilibrés. Cette nouvelle dynamique de pensée et d’approche n’est pas seulement économique, mais également militaire et à l’image de la menace adverse sous la coupole de Moscou. L’Afrique brandit l’alternative russe. Et cela tombe bien puisque la Russie y déroule une stratégie d’influence, avec une valse bien coordonnée entre acteurs gouvernementaux et entités privées comme le groupe paramilitaire privé Wagner.

Wagner Vs DCI : L’autre guerre entre la France et la Russie en Afrique

L’Elysée a, en travers de la gorge, le désengagement militaire en Afrique. Mais, c’est par raison que le Président français Emmanuel Macron avait, selon nos informations, décidé une réduction drastique des effectifs militaires au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, lors d’un conseil de défense, qui s’est tenu mi-décembre 2023. Une réduction drastique des effectifs des trois bases françaises installées sur les côtes d’Afrique de l’Ouest qui répond à la volonté populaire des pays africains concernés. Pendant ce temps, la Russie y étend son hégémonie avec une approche bicéphale de sa présence contemporaine. Moscou use à la fois d’acteurs officiels et d’acteurs non étatiques. Le plus célèbre des acteurs non étatiques est le groupe Wagner dont la présence en Afrique (depuis 2017 au Soudan) est  totalement validée et accompagnée par Moscou. Aujourd’hui, le groupe Wagner est le principal marqueur de la présence russe en Afrique.

Mais, Paris a amorcé la contre-offensive, à sa manière en décidant de faire entrer en jeu, la société Défense conseil international (DCI), principal opérateur du ministère des armées pour le suivi des contrats d’armement tricolores à l’export et le transfert des savoir-faire militaires afférents. DCI devient le nouvel outil d’influence militaire de la France en Afrique. L’entreprise hexagonale est en train de bénéficier de la baisse des troupes françaises sur le continent en fournissant aux armées locales d’autres services, notamment en matière de formations. Composé d’environ un millier de salariés, dont 80 % d’anciens militaires, et avec un chiffre d’affaires de 230 millions d’euros, cette société, dont l’Etat est actuellement actionnaire à 55 %, travaille de longue date main dans la main avec le ministère des armées françaises partout dans le monde. Ces dernières années, l’essentiel de son activité se faisait au Moyen-Orient, principalement avec le Qatar et l’Arabie saoudite. Mais lors d’une audition devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, mercredi 7 février 2024, son PDG Samuel Fringant, a assumé clairement et officiellement une réorientation partielle de DCI sur l’Afrique.

DCI étale donc ses tentacules en Afrique avec l’onction de Paris. Si ses activités ont connu un gène au Niger, elles se sont renforcées au Bénin et il y a quelques jours sur la Côte d’ivoire. En effet, DCI a été désigné par l’Union européenne (UE) pour piloter une mission d’assistance militaire en Côte d’Ivoire dont l’enveloppe est estimée à 15 millions d’euros, soit plus de 9 milliards de FCFA. Il faut savoir que le Groupe français opère déjà au Bénin où il assure un programme de renseignement, surveillance et reconnaissance pour un budget de 11 milliards d’euros, soit plus de 7 milliards de FCFA.

Paris en fait un bras armée de sa politique africaine et lui a taillé un rôle dans un contexte de compétition stratégique sur le continent. Et le fait de faire passer récemment DCI, dans le giron exécutoire de l’Agence pour la Diffusion de l’Information Technologique (ADIT), n’est pas anodin. Le mot d’ordre est simple : là où la compétition pour l’influence mondiale est plus intense que jamais, la France doit muscler ses ambitions et se doter des outils les plus efficaces pour renforcer son influence.

A travers cette nouvelle stratégie, dont les contours ne sont pas à la portée du grand public, la France entend garder sinon renforcer son positionnement dans le paysage mondial de l’intelligence économique, s’ouvrant ainsi de nouvelles perspectives dans la guerre économique et le soft power (2). A suivre.

Cheikh Mbacké SENE, Expert en intelligence économique