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L’EDUCATION MUSICALE AU SENEGAL (Par Bernard Bangoura)

C’est à l’image des cultures de tradition orale historique que l’éducation musicale est d’abord traditionnelle et populaire au Sénégal. Ce legs perdure dans la corporation des griots, et de manière générale dans le corps social pratiquant la musique de façon non formelle. Avec l’institutionnalisation de l’école, l’éducation musicale a ensuite été formalisée. Ce qui lui confère, d’un point de vue historique et sur la base de la démarche d’enseignement-apprentissage, un héritage des présences missionnaire puis coloniale. Ses contenus connaitront une reforme après l’indépendance.
Ces sources de l’éducation musicale ont une préoccupation commune et axée exclusivement sur le matériau sonore. Elles disposent cependant de didactiques particulières dans la transmission des savoirs et des savoirs-faires musicaux, même si des tentatives de symbiose s’entreprennent.

EDUCATION MUSICALE NON FORMELLE D’ORIGINES TRADITIONNELLE ET POPULAIRE

L’éducation musicale non formelle est celle qui a des caractéristiques sans lien avec les institutions telles que considérées dans l’organisation du système éducatif. Elle est inséparable d’un héritage familial (griots), communautaire ou d’habitudes héritées d’usages sociaux divers : apprentissages populaires gratuits ou visant la constitution de groupes de musique, cours à domicile, sessions, pratiques en amateurs et associées aux instrumentistes, aux chorales, etc.

L’éducation musicale traditionnelle

La présence de cette éducation est très ancienne. Sa trace remonte aux traditions musicales des communautés ethniques où se manifestait une transmission du savoir-faire musical d’une génération à l’autre. Elle était surtout une expression des familles griottes. Selon des ethnies, l’apprentissage musical pouvait se faire suivant la lignée paternelle ou maternelle. Cette transmission comportait le répertoire chanté et /ou instrumental ; l’histoire associée à ce répertoire et la facture de l’instrument appris. Tout le processus d’éducation reposait sur une démarche aurale, c’est-à-dire basée sur l’apprentissage par l’oreille et le mimétisme gestuel.
La dénomination en langues locales d’indications de hauteurs sonores (notes) et les relations polyphoniques de celles-ci portent à croire en l’existence d’une pensée musicale, et donc d’un apprentissage identique, même s’il n’y avait pas une notation pour s’exercer au déchiffrage. Ce fait est illustré dans la culture musicale wolof, par le rôle ancien de directeurs d’ensembles joués par des tambours-majors, et perpétué par Doudou Ndiaye Rose qui disposait d’une école de percussions sabar. Cette nature savante est également manifeste dans l’inventivité accordée à la fabrication d’instruments traditionnels comme la kora mandingue et le diassaré ou ngoni (cordophone) peulh.


Au-delà de la musique en tant qu’esthétique stricte, l’éducation musicale d’origine traditionnelle comportait des traits de civilisation d’ordres communicationnels via les messages codés d’instruments, notamment le tambour à fente des diolas, et thérapeutiques dans l’usage des percussions lébou, à l’occasion de séances de musicothérapie.

L’éducation musicale populaire

Elle apparait et découle des présences culturelles (missions, colonisation) comportant des modes musicaux étrangers au Sénégal. Spécifiquement, ces contextes historiques indiqueront une nouvelle vie musicale, par l’adoption de nouveaux répertoires, et la découverte d’instruments de musique modernes. L’harmonium puis l’orgue des missionnaires font partie des premiers instruments modernes à être introduits pour les offices avec chants accompagnés. L’iconographie et la cartophilie regorgent de scènes de production musicale représentant de jeunes chantres et instrumentistes autochtones. C’est là sans doute, l’apparition des premières chorales de l’Eglise du Sénégal avec la constitution des chapelles, séminaires et juvénats.
Au large de Dakar, l’ile historique de Gorée possédait une école et une chorale en 1745 : date de construction de sa chapelle (Gueye 2009 : 49). La connaissance plus ancienne de la tradition polyphonique de la liturgie chantée y est certaine. Cependant, les documents historiques n’attestent pas la constitution ni l’activité régulières d’un chœur, encore moins son appropriation par les africains de l’ile .

A Joal, l’apostolat de l’abbé Coste, troisième préfet envoyé, est admirablement cité ; il y forme des chantres distingués jusqu’à sa mort et son enterrement au cimetière local, le 7 septembre 1784 (Boilat 1984). En 1822, avec l’arrivée des religieuses de Saint Joseph de Cluny à Saint – Louis : « la première chorale de filles sera justement formée par les religieuses du Cluny, certaines pensionnaires noires furent initiées au piano ou à l’orgue. » (Gueye 2009 : 53). L’œuvre missionnaire de cette communauté porte sur des réalisations sociales et surtout scolaires initialement projetées par deux préfets apostoliques : Jean-Vincent Giudicelli en 1816 et Abbé Baradére en 1820. Ces derniers destinaient aux jeunes garçons, une instruction de base comprenant des classes de chant, dans le projet de constitution d’un clergé africain (de Benoist, 2008). A l’établissement des juvénats, le solfège sera intégré en instruction musicale au séminaire-collège de Dakar (transféré à Ngazobil en 1866) et chez les religieuses de l’Immaculée Conception, arrivées en janvier 1848 à Dakar. C’est au sein de cette congrégation que les deux premières sœurs gourmettes prononceront leurs vœux perpétuels en 1858.


Dans la vie civile, une mode d’usage domestique du piano était notable à Saint-Louis. Elle était la continuité outre-mer de la vie musicale hexagonale, et le reflet d’une conformité à la culture française (Sadji 1988). Le mode de vie était ponctué de bals animés par des ensembles de musique, des prises de leçons d’instruments (harmonium, orgue, piano, violon, banjo et autres cordes et vents), sans compter la présence d’un kiosque à musique dans l’aménagement urbain et la pratique musicale des garnisons militaires. La tradition éducative et le répertoire militaire savant se perpétueront dans la musique militaire post indépendante de la garnison de Dakar et celle de la Musique Principale des Forces Armées.

L’influence de cette nouvelle vie musicale sera également manifeste dans l’apprentissage à la pratique et à la production de la musique, au sein d’ensembles instrumentaux connus sous le vocable de « sociétés musicales ». L’initiation et la pratique d’instruments à vents (fifre, clarinette, cornet, trompette, saxophone, trombone, tuba) et à percussions (petit tambour, grosse caisse et cymbales) se feront à la « Lyre municipale de Saint-Louis » sur photo de Tacher, datée 1909, et de « La Faidherbe » sur photo de Tacher, datée 1911 (Le Ouzon Op.cit : 47, 73 …..). Ces sociétés musicales étaient d’appartenances institutionnelles (municipalité de Saint-Louis pour la « Lyre » et clergé local pour « La Faidherbe »). Leur mode se poursuivra après l’indépendance, sous la forme de fanfares scolaires, notamment dans des écoles tenues par des congrégations religieuses : Cours Sacré Cœur et Cours Sainte Marie.

La pratique de la musique d’ensemble pour bals devrait remonter à l’avènement des folgars : bals de danses européennes organisés par les femmes signares (Gueye Op.cit : 23), ou plus certainement aux bals officiels. Le plus célèbre et rapporté se tint le 15 août 1856 (Brigaud et Vast 1987 : 95, 96). Il est probable que des instruments à cordes comme le violon et l’alto soient rajoutés dans l’instrumentarium de cette circonstance musicale de salon. Sinon, la substitution conventionnelle dans les transcriptions orchestrales, des cordes par les bois (clarinettes notamment), présente la probabilité d’animation de ces soirées par la fanfare militaire et celle de la cavalerie jusqu’en 1900. La « Symphonie de Saint-Louis du Sénégal » prenant le relais à partir de 1903. Le répertoire classique (Beethoven, Schubert, Mozart…) de ces ensembles indique aussi leur portée potentiellement chorégraphique.

En effet, les bals étant de plus en plus les principales attractions de l’ile, finiront par être adoptés par les populations noires. Ce sera en 1916, au lendemain de la reconnaissance de leur citoyenneté française avec les communes de Gorée, Rufisque et Dakar. Des orchestres d’autochtones naitront en vue de l’animation des rencontres récréatives dans les quatre nouvelles communes: « La Lyre de Saint-Louis » et « Esperance » adeptes respectivement de musiques syncrétiques (rythmes et danses afro caribéens) et de musique classique pour Saint-Louis (Gouané 2012) ; « La Sénégalaise » et « La Goréenne » pour Gorée ; « La Rufisquoise » pour Rufisque et « La Dakaroise » à Dakar évolueront aussi dans le registre syncrétique, en incorporant des instruments comme l’accordéon, le violon, les percussions africaines et le banjo, pour la danse (Samba 2014).

L’éducation musicale ne sera pas en reste dans ce contexte. En 1930, la « Lyre Africaine » née de « la Goréenne » et de la « Sénégalaise », après la fusion de Dakar et Gorée, et confortée par son répertoire de chansons françaises, bénéficie du soutien parrainé d’Alfred Goux, maire de Dakar. Il met à la disposition du groupe un siège comportant une école de musique et des facilités pour suivre des cours de solfège au sous- soul du marché Sandaga de Dakar. Cependant, l’éclectisme des goûts se fait jour et s’américanise à Saint-Louis, suite à la découverte du jazz des fanfares et big band de sections musicales de la marine militaire américaine, qui y étaient présentes durant la deuxième guerre mondiale. Peu après, la ville voit naitre son premier orchestre de jazz : « La Saint-Louisienne Jazz » (Gouané 2012).


Du point de vue éducatif, cette nouvelle forme musicale sera surtout portée au sein des orchestres « Star Jazz » de Pape Samba Diop dit Mba à Saint-Louis et « Joe et ses Boys » dirigé à Dakar par Joseph Mambaye. Ces deux saxophonistes ténor et mélomanes de répertoires stylistiques d’époques (paso doble, tango, jazz – swing etc.), seront les maitres dans l’initiation de la première génération de musiciens amateurs, à la technique instrumentale, à la transcription en notes nominées, au solfège, et à la pratique musicale collective.

Amadou Traoré (contrebasse et clarinette), membre de « Joe et ses boys », affirme que «A Dakar, les instrumentistes jouaient à l’unisson. C’est Joseph Mambaye qui, au retour de la guerre, a le premier, établi l’orchestration… cette instruction au solfège me permit d’apprendre la clarinette à partir de la méthode Klose, achetée dans les années 1950 à Abidjan ». (Traoré 2004).


Mais cette didactique musicale populaire continuera de moins en moins avec les répertoires occidentaux (chanson populaire, valse, paso doble, jazz…) et caribéens (salsa, cha-cha-cha, boléro, merengue…) à partir des années 1970 et dans la lignée culturelle du festival mondial des arts negres de 1966.


A partir de là, l’élaboration de la musique moderne sénégalaise se faisait grandement au sein du club « Miami » d’Ibra Kassé. De source populaire, c’est tout à fait naturel que cette « école » de construction de la musique moderne partant de celles traditionnelles, soit de conception directe. C’est-à-dire, sans solfège ni partition, exactement comme la didactique ethnique. L’instrumentation et l’arrangement musical oral constituaient les nouveautés. Cette conception va demeurer des solistes et premiers orchestres d’obédience « Miami » (Star band, Orchestre Laye Thiam) ou pas (Ucas Band de Sedhiou, Ablaye Ndiaye, Ifang Boni, Wato Sita, Xalam I, Xalam II, Touré Kunda …), aux orchestres et styles contemporains (Super Etoile, Super Diamono, Dande Lenool, Folk local, Rap …). C’est l’actualité de la création contemporaine dans sa relation à l’éducation musicale.
Entre temps, bien avant ces périodes esthétiques populaires, l’école formelle intégrant l’éducation musicale, naissait en 1816 à Saint-Louis.

SYSTEME EDUCATIF ET EDUCATION MUSICALE FORMELLE

C’est pour le compte des territoires de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F), que la naissance de l’école eut lieu dans la commune de Saint-Louis, au nord du Sénégal. Dans cette ville, fut envoyé, en 1816, Jean Dard : à la fois instituteur et chantre à l’église, mort en octobre 1833 (de Benoist 2008 : 108). La scolarisation connut des balbutiements dans sa formalisation jusqu’en 1905, marquant la laïcisation et le développement de l’enseignement colonial. L’éducation musicale scolaire adoptée revêtait un programme de culture différent de celui traditionnel et au service des ordres coloniaux ou religieux.
L’accès à la souveraineté en 1960, marque une phase décennale de mimétisme avant l’élaboration de programmes et horaires d’enseignement modifiés, et répondant aux objectifs fixés à la conférence de Nairobi, organisés conjointement par l’UNESCO et l’OUA, en juillet 1968.

L’éducation musicale aux temps de la colonie

Avant la laïcisation promulguée à travers la loi dite « Jules Ferry », l’éducation musicale scolaire aura été le fait du ministère des Frères de l’Instruction chrétienne (les « Frères de Ploërmel ») ; les « Messieurs Libermann » de la Congrégation du Saint- Cœur de Marie ; celles de l’Immaculée-Conception de Castres et des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Hormis le Collège de Saint-Louis (1843 -1849) fondé par l’abbé Boilat, les écoles primaires des garçons et celles des filles à Gorée, Saint-Louis puis Dakar seront principalement concernées par la discipline.


Les archives scolaires les plus informatives sont celles du collège Libermann de Dakar, devenu « Les Cours secondaires de Dakar » (1923), rebaptisé en 1939 « Lycée Van Vollenhoven », puis en 1984 « Lycée Lamine Gueye », sur l’initiative de Iba Der Thiam, historien et ex Ministre de l’éducation nationale. Ces archives disposent de preuves matérielles assez informatives de l’adoption formelle de l’éducation musicale (Bangoura 2000).


Le Bureau des archives de l’école ayant connu successivement des inondations en 1991 et en 1994, seuls les documents des distributions de prix sont encore disponibles. Les cahiers de texte qui pouvaient fournir des informations sur le contenu des enseignements – apprentissages étaient introuvables. Une documentation renseignant sur le palmarès de distribution des prix tenus le 28 juin1925 et le 06 juillet 1929, indique une liste de classes (troisième et quatrième), de récipiendaires invités à la remise des prix de fin d’année et celle des lots concernant l’éducation musicale : deux prix (1er et 2e) et quatre accessits (1er, 2e, 3e, et 4e).

Ces ministères religieux se feront de 1841 (année d’arrivée des « Frères de Ploërmel ») à la laïcisation de l’école sous la loi Jules Ferry (1904). La charte de 1903 puis l’arrêté du 1er mai 1924 réorganisaient l’enseignement général, fixaient les programmes et hiérarchisaient les enseignements, dont l’éducation musicale.
Sous le vocable de « cours de chant et de musique », la discipline était également inscrite dans la formation professionnelle et technique, pour être enseignée en 1938 aux futures institutrices à l’école normale de Rufisque.


Une décennie plus tard, en 1948, sera fondé à Dakar, un Conservatoire de musique par Paul Richez : avocat et amateur passionné de chant lyrique. Avec un Secrétaire général, et constitué d’une équipe de six formateurs français, l’établissement proposera un parcours de mode classique en apprentissage instrumental (chant, piano, violon, violoncelle, trompette, trombone, hautbois, guitare, accordéon) et en enseignements musicologiques (solfège et écriture).

Le conservatoire de Dakar était unique du genre et devint un « haut lieu d’apprentissage musical pour toute l’Afrique occidentale française. » (Mazzoleni 2011 : 95). Il attirera de jeunes apprenants du territoire dont Pascal Johnson (Prix de chant), Amadou Bâ (Piano et saxophone), les frères Kété : Antoine (Piano et composition) et Antonin (Violoncelle) en carrières classique. Il verra aussi la fréquentation de musiciens d’orchestres populaires (Balla Onivogui de « Balla et ses Balladins », Barro Ndiaye de « Les déménageurs », ou encore Luis Morais : futur compère de Césaria Evora) en quête de renforcement de connaissances.


Cet ensemble de faits historiques ayant concouru à la naissance de l’école au Sénégal, atteste l’existence en parallèle, des toutes premières traces de l’institutionnalisation de l’éducation musicale comme discipline scolaire sous l’administration du gouvernement de la métropole colonisatrice.


De manière opérationnelle dans la vie scolaire de l’époque, de jeunes sénégalais des années 1900 confirment à l’égard du système d’alors, un usage peu flatteur de la discipline. En effet, des témoignages ont permis de recueillir deux chants entretenant une conquête culturelle auprès d’écoliers scolarisés entre 1940 et 1942 à l’école primaire supérieure Blanchot de la ville de Saint – Louis :

Si le cours de chant au primaire ne pouvait, en textes, être dépourvu de relation culturelle explicite, celui de la musique pure (solfège et musicologie annexe) offrait grandement la culture musicale dans son système, son histoire, son expression et le développement historique de son langage.


Ce fait culturel et scientifique universel constituait un apport certain dans la perspective de la connaissance et de l’évaluation de la pensée, et de la création autour de la culture musicale patrimoniale. Il s’agissait d’une « volonté intégrative (qui) se référait, bien entendu, aux deux axes fondamentaux de la politique culturelle de Senghor : l’enracinement et l’ouverture ». (Sylla 2006 : 100).
Cet aspect, unanimement reconnu par les spécialistes de l’éducation musicale, en tant que langage le plus abouti dans la constitution et la présentation savante de l’art musical, sera conservé et adopté dans les programmes post indépendance.

L’éducation musicale après l’indépendance

La modification des horaires et des programmes de l’enseignement fut un processus qui avait été entamé plus exactement en 1962, avant consignation et promulgation par les décrets No 72-861 et 72-862 du 13 juillet 1972, élaborés en application de la loi 71-36 du 03 juin 1971.


Après un mimétisme plus que décennal, la présentation de la musique dans l’enseignement au Sénégal se fit sous la forme d’une affirmation culturelle en adéquation avec les préoccupations essentielles de l’école. Celles-ci cherchaient à former globalement l’apprenant en agissant sur son intelligence, sur son physique et sur sa sensibilité. C’est dans cette dernière forme de perception qui concerne l’éducation artistique, que deux disciplines furent officiellement adoptées : l’éducation aux arts plastiques et l’éducation musicale.


L’intégration formelle de l’éducation musicale couvre désormais comme entités du système éducatif : les niveaux d’enseignement allant du préscolaire au supérieur ; la répartition en différents départements ministériels des compétences éducatives ; les programmes et horaires spécifiques à chaque niveau d’enseignement ; des contenus concernant les domaines de la perception du son, du traitement intellectuel du son, de la culture générale en musique, de l’interprétation et de la créativité (CNEM 2013).


Dans leurs grandes lignes, les différents programmes adoptés depuis 1972 conservent le solfège comme connaissance indispensable, en tant que forme universelle de notation et moyen le plus abouti en vue d’exprimer la musique écrite. Les reformes sont de l’ordre de didactiques intégrant globalement une culture musicale universelle, préalablement enracinée. Conformément à l’esprit des Lois d’orientation de l’éducation nationale, ces didactiques s’inspirent de dispositions, de résolutions, de conventions, et de recommandations culturelles entérinées souverainement, seul ou dans le cadre intergouvernemental (O.U.A, U.A, UNESCO, Conférence de chefs d’Etats et de gouvernements…), par l’Etat du Sénégal.
Ces reformes spécifiques portent sur la découverte et la connaissance du patrimoine musical local et continental, dans ses identités matérielles (instruments de musique, lieux et espaces de mémoire) et immatérielles (sonorités, musiciens, répertoires, musiques et formes : comptines ; berceuses ; chants épiques ; épopées ; chants accompagnant les jeux ; chants de fables…).
Ces changements concernent l’ensemble des types d’établissements du système éducatif, y compris le privé, même si des tentatives de création et de gestion d’écoles de formation dans ce secteur n’ont jusqu’ici pas connu une pérennité.


Pour ce qui est de la formation professionnelle et technique, l’adoption et l’évolution institutionnelles post conservatoire de Dakar (1948), se feront successivement au sein de l’Ecole des Arts du Sénégal (1960 – 1972) ; l’Institut national des Arts (1972 – 1979); le Conservatoire de Musique de Danse et d’Art Dramatique (1972-1995) ; l’Ecole nationale des Arts (1995-2022) et l’Ecole nationale de arts et métiers de la culture (depuis 2022).


Les premières reformes didactiques dans la formation professionnelle auront lieu en 1960, avec l’ouverture d’une division de musique traditionnelle. A partir de 1972, l’Institut national des Arts (I.N.A) poursuivra les enseignements du balafon et de la kora. Cet instrument disposera d’une première méthode établie par Anumu Petro Santos, professeur et chercheur. L’INA initiera aussi la formation de la première promotion d’élèves-professeurs (1972-1976), constituée d’un apprenant. Cet Institut aura été le symbole d’une expérimentation pionnière de la didactique de la musique traditionnelle, et l’entame d’une transition entre représentants de la tradition pédagogique de la musique savante (équipe du Conservatoire 1946 ; personnel enseignant local et assistance technique française, russe, belge, japonaise, sud-coréenne…).
Toute cette orientation découlait de quatre principales préoccupations socioculturelles (Sylla 2006 : 100) :

  • éviter le déracinement culturel et le déchirement consécutifs à l’expatriation en Europe ;
  • faire accéder un plus grand nombre de jeunes sénégalais à ce type de formation ;
  • prendre en compte et intégrer les données culturelles nationales dans les programmes d’enseignement ; donc africanisation et sénégalisation de la formation artistique, non seulement dans ses contenus et ses méthodes, mais également par ses personnels enseignants ;
  • faire advenir des arts sénégalais modernes : peinture, sculpture et architecture notamment.

DIDACTIQUES ET AVENIR

Le processus d’intégration institutionnelle et scolaire de l’éducation musicale au Sénégal découle d’un concept culturel noble qui participait à établir des traits de sensibilité, et de goût citoyens pour l’art musical local et universel. Comme dans la quasi-totalité des Etats d’Afrique subsaharienne historiquement de tradition orale, ce concept projette la cohabitation entre l’empirisme de l’oralité naturelle des musiques traditionnelles et le formalisme de l’éducation musicale écrite.


Au constat pratique, cette formalisation de l’éducation musicale s’est illustrée surtout via un rapport visuel et cognitif avec le matériau sonore. La proportion du signe graphique de la musique, qu’il soit lu ou écrit, ayant été la plus représentée dans le processus d’apprentissage que celle du contact direct avec le son.
Mais cet argument repose sur une analyse de perspectives culturelles. Car, d’un point de vue technique, les méthodes d’apprentissage oral ne signifient pas forcement traditionnelles. Pour preuve, l’essence même de la musique (le son) étant un phénomène ineffable et principalement destiné au sens auditif, il va de soi que l’éducation musicale populaire comme la formation essentielle du musicien restent et demeurent dans le rapport le plus harmonieux avec le matériau sonore (œuvres sonores, voix et/ou instrument). Une formation « moderne » et surtout technique rendraient cet objectif non atteint. C’est sans doute la compréhension de cette réalité qui motive des méthodes et écoles pédagogiques à succès (Suzuki ; Berklee ;Orff ; Martenot…)


Aussi, pour d’autres raisons de l’ordre notamment de l’urbanité, de ses externalités sur la culture musicale traditionnelles et ses formes d’éducation ; de statistiques (goût et niveaux de culture musicale populaire, couverture territoriale non effective dans la pratique de l’éducation formelle) ; de capacités (application effective de textes et moyens d’opération didactiques tant bien formel que non formel) et de structurations, il y a à poursuivre une recherche appliquée sur le concept de symbiose entre l’éducation musicale non formelle et celle formelle du Sénégal.