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LA BATAILLE DE SAFILÈME, 3 ET 4 SÉPTEMBRE 1826 PREMIÈRE DÉFAITE DE LA FRANCE COLONIALE EN AFRIQUE DE L’OUEST 

En 1821, de la part des Français du comptoir de Saint-Louis , le gouverneur Louis-Jean-Baptiste Le Coupé, réitère la demande d’abandon du droit d’aubaine au Damel Birima Fatma Thioub Fall en échange de 14  étoffes de plus sur la coutume. 

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Ce dernier refusa mordicus et mit en garde contre tentative de contestation par la force de ce principe de souveraineté :

« C’est un droit que je ne puis céder qu’avec la vie, ce serait une honte pour moi et un fait qui dans l’autre monde me serait éternellement reproché par mes pères. 

Lorsqu’il se perdra un bâtiment, si vous me le laissez, je serai certain que vous voulez une paix durable ; si au contraire vous voulez m’empêcher de le prendre, je saurai ce qu’il faudra que je fasse. »

Archives Nationales du Sénégal, 13 G 225, Lettre du Damel Ibrahim au Gouverneur du Sénégal [30 mai 1821]

Il apparaît déjà dans le ton de cette réponse que la tension était palpable entre le Kajoor et la Colonie. 

Cinq ans plus tard, éclate la tragédie :

« C’est dans ce contexte tendu que survint le naufrage du brick « Toujours le même » à la hauteur de Safilème, en septembre 1826. 

Le gouverneur de Saint-Louis, informé, convoya immédiatement une cohorte forte d’une centaine de soldats commandés par le capitaine Méchin et le sous-lieutenant Cousin. 

Les hommes valides du Gandiolais accourus pour exercer leur droit de bris furent stoppés net dans leur assaut par la colonne militaire venue de Saint-Louis. » écrit Sidy Diop.

Mémoire du Gandiolais, p.146-147

Ainsi débutèrent les hostilités qui mèneront à la bataille qui nous intéresse. 

En effet, les Français entendaient cette fois-ci récupérer par la force leur bâtiment naufragé dont selon le droit d’aubaine le premier tiers appartient au Damel, le second au Montel, seigneur du Ganjool et la troisième partie aux habitants ayant effectué la saisie. 

Les armes allaient parler entre les deux parties convaincues chacune de son bon droit.

Deux fils du Montel Moussé Diop, les nommés Mayakara Mbarka et Sambadoune Fari, sans doute portés par leur fierté d’aristocrates, entendirent donner l’exemple aux Ganjoolais et, bravant la tentative d’intimidation de ces derniers, s’avancèrent vers les Français qui tirèrent sur eux à bout portant. 

Ce double assassinat allait mettre le feu aux poudres. 

Le Montel qui venait de perdre ses deux fils conseilla pourtant, afin d’éviter plus d’effusion de sang Ganjoolais, de ne pas répliquer. 

Si les gens de Mouït, son village, acceptent d’obéir au Sage, ceux de Ndiébène, au contraire, refusèrent net arguant que la décision d’une réponse à l’agression française revenait non pas au Montel seigneur des eaux mais au Jawdin-Ganjool, gouverneur militaire. 

Ralliant les ressortissants de plusieurs autres localités,  ils finirent par constituer un front unifié de conscrits levés dans tout le Ganjool décidés à laver l’affront des Tubaab de Saint-Louis.

Bien que leurs armes soient supérieures et comprensaient leur infériorité numérique, les Français sont dans une position délicate sur le champ de bataille : la mer derrière eux leur interdit toute retraite et les dunes de sable de la plage de Safilème offraient une défense naturelle aux Ganjoolais qui pouvaient ainsi les mitrailler en feu croisé assez aisément. 

Le combat fut sanglant. La tradition orale retient que l’ensemble des mâles adultes de la famille Lô de Ndop tombèrent au champ d’honneur, du côté français les deux officiers Méchin et Cousin furent tués, 30 survivants réussissent à s’échapper par barque jusqu’à Saint-Louis. 

La France coloniale venait d’essuyer sa première grande défaite militaire en Afrique, ce fut les 3 et 4 septembre 1826 face aux preux du Ganjool.

Conscients de l’inefficacité de l’usage de la force, les Français lui substituèrent la diplomatie. 

En effet, une délégation de l’administration coloniale de Saint-Louis vint négocier avec les notables du Ganjool, court-circuitant ainsi le Damel, les nouveaux termes de l’échange. 

Un accord fini par être signé entre le fameux Baron Roger gouverneur de Saint-Louis et les « gens du Gandiole ». 

Le traité acte le renoncement de la province du Ganjool à tout droit de bris et même son placement sous protectorat français sauvant ainsi la face à la Colonie en échange d’une absence de rétorsion de sa part. 

C’était une violation totale de la souveraineté Ajoor sur cette province stratégique et porte d’entrée vers l’intérieur des terres.

Comme l’ecrit Sidy Diop :

« Par ces mots, ce traité dit du 15 décembre 1826 n’est rien moins qu’une déclaration d’allégeance que la colonie avait fait signer à des hommes qui n’avaient nullement autorité en la matière ; mais elle le savait et voulait simplement faire diversion, légitimant les futures initiatives de conquête sur le Cayor et notamment, dans un premier temps, la partie septentrionale de cet État.  

À la suite des évènements de Safilème, la société gandiolaise était divisée en deux partis dont l’opposition allait marquer l’histoire de la province pendant tout le XIXe siècle, période pendant laquelle la mise du pays sous la tutelle française allait se renforcer progressivement : le parti de l’alliance avec le Sénégal (la colonie de Saint-Louis) qui représentait pour l’essentiel des intérêts de la nouvelle bourgeoisie de traitants, d’employés de maisons de commerce et de gros propriétaires qui écoulaient à Ndar les produits de leurs exploitations agricoles ; le parti de la résistance qui regroupait d’une part la classe maraboutique de lettrés musulmans conscients du caractère inconciliable entre le projet de société coloniale et le projet de société musulmane qu’ils appelaient de leurs vœux ; d’autre part les membres de l’ancienne aristocratie qui voyaient leurs privilèges traditionnels menacés par les transformations qu’apportaient le nouvel ordre colonial ; ils se verront de plus en plus isolés et écartés du jeu politique au bénéfice des nouveaux alliés de la colonie. »