Ces anciens dirigeants africains qui font face à la justice
L’ex-président mauritanien Mohmamed Ould Abdel Aziz a été arrêté mardi soir et placé en détention à Nouakchott. Il a été inculpé le 12 mars dernier pour corruption, détournement de biens publics et blanchiment d’argent, lors de sa présidence entre 2008 et 2019. Il n’est pas le seul ancien dirigeant africain à faire face à la justice. Tour d’horizon.
Ce qui amène aujourd’hui Mohmamed Ould Abdel Aziz en détention, ce sont des accusations de délits économiques, contenues dans le rapport d’une commission parlementaire rendue en juillet 2020, et notamment des faits de corruption.
La corruption, c’est ce qui a conduit à la première condamnation de l’ancien président soudanais Omar el-Béchir, le 14 décembre 2019, huit mois après sa chute. Une condamnation à deux ans de prison après qu’il a reconnu avoir touché quelque 90 millions de dollars de la part de l’Arabie saoudite, tout en niant s’être enrichi avec cet argent.
L’agenda judicaire de l’ex-maître de Khartoum est néanmoins bien rempli, puisque trois autres procédures sont en cours : concernant son coup d’État de 1989 (procès ouvert en juillet 2020), des crimes commis au Darfour, et le meurtre de manifestants lors de la révolte ayant conduit à sa chute. Sans oublier les deux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale pour « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité » et « génocide » au Darfour, mais que la transition soudanaise refuse pour le moment d’exécuter.
Le tunnel judiciaire de Jacob Zuma
À l’autre bout du continent, un ancien dirigeant est lui aussi dans un tunnel judiciaire : le Sud-Africain Jacob Zuma, associé à une très longue liste de scandales financiers, fait l’objet de procédures dans trois volets : le « state capture », l’« arms deal » et le « Nkandlagate ».
Le premier, la « capture des moyens de l’État », dit aussi « Guptagate », est au coeur d’une commission d’enquête chargée depuis trois ans de découvrir l’ampleur des détournements et malversations que le pays a connu lors de sa présidence, principalement au profit de la famille d’affairistes indiens Gupta. Un travail si vaste que le président de cette commission, Raymond Zondo, vient de demander une nouvelle extension de trois mois, alors que ses travaux devaient se terminer fin juin. Dans le second volet, Jacob Zuma est accusé d’avoir touché quelque 235 000 euros de commissions entre 1995 et 2004, avant son accession à la présidence, pour aider la compagnie française Thalès à obtenir un contrat d’armes. La procédure s’étire car l’ex-président s’emploie à utiliser tous les moyens procéduraux à sa disposition, une stratégie qu’il appelle la « défense de Stalingrad ». Enfin, pour ce qui est des travaux réalisés avec l’argent du contribuable (20 millions d’euros), dans sa résidence privée de Nkandla, il a été condamné en 2016 par la Cour constitutionnelle à en rembourser 420 000 euros.
Aux Comores, l’ex-président Ahmed Abdallah Sambi est en résidence surveillée depuis plus de trois ans désormais. Il est accusé de détournements de fonds publics dans un scandale de vente de près de 50 000 passeports qui a aussi éclaboussé son successeur Ikililou Dhoinine. Selon le rapport officiel, le manque à gagner pour l’État était de 784 millions d’euros. Mais aucun procès n’a encore été organisé.
Charles Taylor terminera vraisemblablement sa vie en détention
D’autres dirigeants font l’objet de condamnations ou de poursuites pour des violations des droits humains. Si Laurent Gbagbo vient de rentrer en Côte d’Ivoire libre et acquitté, son ancien voisin, le Libérien Charles Taylor, terminera vraisemblablement sa vie en détention, dans le nord de l’Angleterre. En 2012, il fut condamné à une peine de cinquante ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, pour son implication dans la guerre civile qui ravagea ce pays dans les années 1990. Il fut le premier ancien chef d’État condamné par la justice internationale pour ce type de crimes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et le seul jusqu’au 30 mai 2016.
Ce jour-là, en effet, marque une étape importante pour la justice en Afrique, celle de la condamnation en première instance d’Hissène Habré par les Chambres africaines extraordinaires, juridiction ad hoc créée par le Sénégal et l’Union africaine pour juger l’ancien président tchadien. Sa condamnation à perpétuité pour crimes contre l’humanité a été confirmée en appel l’année suivante, assortie de 125 millions d’euros de dommages aux victimes. Il purge actuellement sa peine au Sénégal malgré les demandes de sa famille de remise en liberté pour raisons de santé.
Ce tribunal mixte pourrait dans l’avenir inspirer d’autres pays. La Gambie notamment, dont la Commission vérité, réconciliation et réparations, vient de clore deux années d’auditions, et devrait dans son rapport attendu prochainement, demander des poursuites contre l’ex-président Yahya Jammeh, parti en exil en Guinée équatoriale après sa défaite à la présidentielle de décembre 2016.
Autre cas, celui de Blaise Compaoré. L’ex-président burkinabè vit en Côte d’Ivoire depuis son renversement, un pays dont il a la nationalité. Il est sous le coup de deux procédures : l’une pour la répression des manifestations de 2014 devant la Haute Cour de justice de Ouagadougou, l’autre pour son rôle présumé dans l’assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara en 1987, qui lui vaut des accusations « d’atteinte à la sureté de l’État », « complicité d’assassinat » ou encore de « recel de cadavre ». L’enquête bouclée, un procès doit se tenir devant un tribunal militaire. Le ministre burkinabè de la Réconciliation Zéphirin Diabré l’a d’ailleurs rencontré récemment pour tenter de le convaincre de rentrer assister à ce procès.
Si au Mali l’ancien putschiste Amadou Sanogo a été relâché mi-mars par la justice après des années de résidence surveillée, au bénéficie d’une « Loi d’entente nationale » qui met fin aux poursuites contre lui dans l’affaire des meurtres de 21 bérets rouges en 2012, les proches des victimes du massacre du 28 septembre 2009 en Guinée espèrent, eux, encore voir la justice passer. Les militaires avaient ouvert le feu sur un meeting d’opposants, faisant 157 morts. Un procès est toujours attendu, notamment contre le chef de la junte de l’époque, Moussa Dadis Camara, renvoyé devant la justice avec dix autres personnes, et qui vit en exil au Burkina Faso.